Sharon Cabrera, superviseure du placement chez un proche, à la Children’s Aid Society of Toronto, discute de la façon dont les familles de placement chez un proche contribuent à préserver les liens des enfants
Qu’est-ce que le bien-être de l’enfance entend par placement chez un proche?
Nous parlons d’une entente de placement selon laquelle un membre de la parenté, un membre de la communauté ou toute autre personne ayant un lien avec un enfant ou ses parents assume la responsabilité principale de prendre soin de l’enfant et de l’élever. Dans la plupart des cas, il s’agit d’un membre de la parenté ayant un lien biologique, mais un proche peut aussi inclure une personne considérée par l’enfant comme faisant partie de la famille, par exemple, un parrain ou une marraine, un ami, un enseignant ou un voisin.
Quelle est l’ampleur du rôle que les familles de proches jouent dans le bien-être de l’enfant actuellement?
Actuellement, les familles de proches s’occupent d’une moyenne de 3 700 enfants en Ontario sur une période d’un mois, ce qui représente environ 25 % des enfants et des jeunes nécessitant un placement hors du domicile familial. Mais malgré cette contribution importante, les familles de proches n’ont pas la visibilité des familles d’accueil ou des familles adoptives.
Pourquoi les sociétés d’aide à l’enfance recherchent-elles de plus en plus des familles de proches qui se manifestent et aident à offrir du placement?
Le placement des enfants dans des familles de placement chez un proche pendant que les parents et les personnes responsables tentent de résoudre les problèmes qui ont une incidence sur leur rôle parental comporte des avantages considérables. Selon la perspective de l’enfant, cela réduit le stress associé à la prise en charge. Dans de nombreux cas, ils connaissent déjà les personnes avec lesquelles ils vivront et ont confiance en elles. Surtout, les enfants dans cette situation peuvent maintenir leurs liens raciaux, culturels et religieux. Ils vivent dans des familles où, par exemple, ils parlent la même langue et mangent des aliments auxquels ils sont habitués, et où les traditions familiales sont très semblables, sinon les mêmes. Cela renforce leur identité et leur permet de rester connectés à leur communauté. Des recherches cliniques menées aux États-Unis confirment aussi que les placements chez un proche démontrent de meilleurs résultats pour les enfants et les familles, par rapport à d’autres formes de placement. Pour ces raisons, le projet Une vision une voix visant à mieux servir les Afro-Canadiens et les Canadiens d’origine antillaise a fait du placement chez un proche une recommandation principale de son cadre de pratique d’équité raciale.
Comment l’approche de famille de placement chez un proche cadre-t-elle avec l’engagement du bien-être de l’enfance de l’Ontario à l’égard de la réconciliation avec les Autochtones?
La première recommandation de la Commission de vérité et réconciliation demande au bien-être de l’enfance de réduire le nombre d’enfants autochtones pris en charge, de préserver l’unité familiale lorsque cela est sécuritaire, ainsi que de garder les enfants dans des environnements appropriés à la culture. Les objectifs du placement chez un proche sont compatibles avec cet Appel à l’action, ainsi que les pratiques traditionnelles d’éducation des enfants autochtones, qui valorisent grandement les familles élargies et la communauté, la responsabilité collective partagée à l’égard des enfants et le rôle parental partagé. De nombreux enfants autochtones de l’Ontario sont élevés dans leur communauté par l’entremise de services de placement chez un proche et d’ententes formelles de soins conformes aux traditions.
Le placement chez un proche est-il aussi préférable pour les principales personnes responsables étant aux prises avec des problèmes qui ont mené à l’intervention d’une Société d’aide à l’enfance?
Oui, absolument. De nombreux parents dans cette situation se disent « Si je ne peux pas m’occuper de mon enfant, je veux que ma mère ou ma grand-mère le fasse. » C’est aussi une bien meilleure situation dans ces rares cas où les enfants ne peuvent pas retourner au domicile familial, parce que cela peut signifier que leurs parents sont encore présents dans leur vie.
Les familles de placement chez un proche semblent être l’endroit évident où aller lorsque les enfants ne peuvent pas vivre au sein de leur famille – et est une pratique courante dans de nombreuses cultures. Donc, pourquoi cela est-il si nouveau pour le bien-être de l’enfance?
Cela est vrai, ce n’est pas que nous créons quelque chose de nouveau, c’est seulement que nous reconnaissons quelque chose qui se produit dans de nombreuses communautés. Auparavant, les agences faisaient appel à des familles d’accueil « provisoires », c’est-à-dire approuvées pour prendre soin d’un enfant avec lequel elles avaient une relation particulière. En 2006, le MSEJ a élaboré de nouvelles normes de placement chez un proche obligatoires, qui incluent une nouvelle forme d’évaluation des familles pouvant agir comme principales personnes responsables sans que l’enfant soit pris en charge. Le principal avantage de cette nouvelle évaluation est qu’elle assure la sécurité des enfants dans des placements réalistes, sécuritaires, favorables et viables, sans qu’ils aient à être pris en charge.
Le bien-être de l’enfance de l’Ontario a donc maintenant deux modèles que les familles de proches peuvent envisager?
Exactement. Selon le modèle de placement chez un proche avec prise en charge, les enfants sont pris en charge et ensuite placés chez des proches après que ces derniers ont subi la même d’évaluation et suivi la même formation que les parents d’accueil. L’avantage de participer à un tel processus est que les familles reçoivent les mêmes soutiens que les familles d’accueil, comme les indemnités quotidiennes. L’inconvénient est que les familles doivent se soumettre à de nombreuses exigences formelles relatives à l’obtention d’un permis, qui peuvent leur sembler intrusives.
Selon le modèle de placement chez un proche sans prise en charge, les enfants ne sont pas pris en charge; ils sont plutôt placés dans des familles de proches, de façon volontaire ou en vertu d’une ordonnance de surveillance. La famille subit une évaluation selon les Normes ontariennes de garde d’enfants par un proche, qui aide à déterminer si la famille est en mesure de protéger l’enfant ainsi que de lui fournir un foyer favorable, sécuritaire et fiable.
La Semaine du placement chez un proche a lieu tous les mois de septembre. Quel est votre objectif de faire connaître le placement chez un proche?
Le fait de souligner la Semaine du placement chez un proche nous donne l’occasion de reconnaître les familles de placement chez un proche et le travail précieux qu’elles accomplissent. Il est aussi très important de faire tout ce que nous pouvons pour que le placement chez un proche soit toujours présent dans l’esprit des gens. Nous devons avoir suffisamment de ressources dans les agences, ce qui inclut un nombre adéquat d’employés et d’intervenants spécialisés. Nous voulons aussi entretenir le dialogue au sujet des services que nous offrons à chaque personne engagée, afin de nous assurer que les services fonctionnent bien, et qu’il n’y a pas d’obstacles empêchant la participation des familles ou des intervenants. Cela inclut le fait d’aborder les mythes concernant les familles de proches.
Pouvez-vous donner des exemples de ces mythes?
L’un des mythes est que si une famille ne s’est pas manifestée durant une enquête et qu’elle n’a pas offert ses services, cela signifie qu’elle ne souhaite pas s’engager. En fait, il arrive souvent que lorsque nous trouvons des membres de la parenté, ils ne savaient pas qu’ils pouvaient se manifester, ou ne savaient pas que l’enfant avait besoin de soutien.
Un autre mythe de la sorte est que le père ne s’occupait pas de l’enfant et qu’ainsi son engagement n’est pas important. Mai si vous ne recherchez pas d’information sur le père, vous vous privez d’une occasion extraordinaire de faire appel au composant paternel de la famille, qui pourrait offrir un foyer temporaire ou permanent à l’enfant.
Enfin, il y a le mythe que « La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre ». Donc, si nous avons une « famille dysfonctionnelle », le mythe est qu’il ne peut y avoir quelqu’un dans cette famille qui soit capable de s’occuper de cet enfant. Et, évidemment, certains membres de la famille le peuvent.
À quels genres de défis les familles de placement chez un proche font-elles face?
Il y a souvent un énorme enjeu financier. De nombreuses personnes responsables parmi les proches sont des grands-parents ayant un revenu fixe. Beaucoup de tantes et d’oncles s’occupent de leurs propres enfants, et le fait d’ajouter un autre enfant dans la famille est coûteux. Peu de soutien financier est disponible. Cependant, selon mon expérience, ce défi n’empêche pas les familles de s’occuper d’enfants. Peu de personnes n’ont dit que parce qu’elles n’en ont pas les moyens, elles ne prendront pas un enfant ou des enfants, mais cela reste difficile à gérer, et plus de soutien est nécessaire.
Les familles de proches peuvent aussi faire face à des défis concernant la gestion des relations. Si l’enfant dont vous vous occupez est de votre enfant ou de votre frère ou sœur, il peut être difficile de croire les préoccupations que la Société d’aide à l’enfance peut avoir. En tant que personnes responsables étant des proches, ils doivent être en mesure de protéger l’enfant à tout prix, mais d’un autre côté, ils doivent pouvoir avoir une relation avec le parent ou la personne responsable de l’enfant, tout comme l’enfant dont ils s’occupent. Une grande partie de notre évaluation porte sur la capacité de la famille de faire cela : leur capacité de protéger l’enfant, la façon dont les visites seront gérées, et la façon dont la relation de l’enfant avec le parent ou la personne responsable sera appuyée. Les familles ont besoin d’être soutenues à cet égard.
Si vous aviez une baguette magique, que souhaiteriez-vous pour les familles de placement chez un proche?
D’abord et avant tout, nous voulons des soutiens appropriés pour nos familles de placement chez un proche sans prise en charge. Non seulement des soutiens financiers – cela est primordial –, mais des ressources comme l’accès à une garderie et des programmes récréatifs. Nous voulons aussi voir plus de soutiens pour aider les enfants qui sont aux prises avec des traumatismes, mais aussi pour leurs personnes responsables étant des proches, de sorte qu’elles puissent aider les enfants à surmonter ces traumatismes. Et, évidemment, mon souhait serait que tous les enfants et jeunes ne pouvant pas vivre dans leur famille actuelle aient la possibilité de vivre dans une famille ou chez des amis de leur communauté qui les appuieront et s’assureront qu’ils atteignent leur plein potentiel dans un environnement familial sécuritaire, favorable et fiable. Tous les enfants et les jeunes méritent cela.