Lorsque vous avez annoncé la nouvelle Loi de 2016 sur le soutien à l’enfance, à la jeunesse et à la famille (la Loi), vous avez dit qu’elle serait l’agent de changement le plus important en protection de l’enfance depuis des décennies. Y a-t-il des dispositions de la Loi qui vous enthousiasment davantage?
Pour moi, trois dispositions se démarquent vraiment.
La hausse de l’âge de protection jusqu’à 18 ans en est une majeure. Je ne peux pas croire qu’à ce moment même, un jeune de 16 ou 17 ans ne serait pas protégé. Je crois que notre perception des jeunes qui doivent être protégés et de ceux qui ne doivent pas l’être a changé beaucoup au cours du temps. Mais je crois que pour ma génération, il n’y a aucun doute que les jeunes de 16 ou 17 ans doivent être protégés. Ils ont besoin de notre aide, et le fait que 1 600 enfants seraient dans cette tranche d’âge au cours de la première année me scandalise. Comme la hausse de l’âge de protection préviendra l’itinérance et le trafic sexuel, c’est simplement la bonne chose à faire.
Et quelles sont les deux autres dispositions de la Loi proposée qui se démarquent pour vous?
Pour moi, une autre des dispositions les plus importantes de la Loi est la reconnaissance qui se manifeste relativement à la communauté autochtone. Je crois qu’il est grandement temps que nous reconnaissions que le racisme et la colonisation systémiques ont joué un rôle important dans le système du bien-être de l’enfance pour les jeunes Autochtones. La disposition de la Loi proposée portant sur le fait de nous adapter culturellement et de comprendre les cultures, ainsi que de nous assurer que lorsque nous prenons des décisions, nous réfléchissons selon cette perspective est aussi cruciale.
Placer l’enfant au centre de la prise de décisions dans la Loi est également important. Ça me déconcerte tout simplement que nous devions même faire cet énoncé. À mon avis, ce sont des aspects qui changent la donne, en ce sens que nous devons faire ces gros changements afin d’obtenir des résultats importants.
Lorsque vous avez annoncé la nouvelle Loi, vous l’avez aussi décrite comme la première étape d’un changement important. Pouvez-vous expliquer davantage ce que vous entendez par là?
Avez-vous vu la Loi? Le document en soi? Nous parlons d’un document volumineux – 640 pages en français et en anglais. Mais pour moi, ce ne sont que les mots. Le vrai travail ne s’effectuera pas au sein de l’Assemblée législative, il se produira dans les rues de Hamilton et Kapuskasing. Ce sont les personnes sur le terrain, les personnes qui travaillent au sein d’organismes et d’agences, les leaders, les familles en cause – voilà les personnes qui feront bouger les choses. La Loi est une première étape, mais je crois que le vrai changement se produit lorsqu’il s’infiltre dans le système, qu’il modifie les attentes et les exigences, en quelque sorte.
C’est peut-être le bon moment de soulever la question du rôle de la communauté. En Ontario, comme on estime que la communauté est responsable des enfants engagés dans le système du bien-être de l’enfance, des dirigeants communautaires et de nombreux bénévoles offrent de leur temps au bien-être de l’enfance. Comment voyez-vous le rôle des communautés dans le bien-être de l’enfance?
Si vous examinez l’Ontario et que vous observez la façon dont nos hôpitaux, nos institutions de santé, notre système d’éducation et la protection de l’enfance ont été conçus, ils l’ont été à partir de la communauté et sont plus âgés que le gouvernement provincial dans bien des cas. Il y a cent ans, la protection de l’enfance était probablement une responsabilité communautaire – la communauté s’est rassemblée et a dit : « Nous allons prendre soin des enfants. » Cela a changé. Aujourd’hui, c’est le gouvernement, ce sont les contribuables de l’Ontario, et ils prennent soin des enfants par l’entremise d’un transfert fiscal. Nous sommes donc dans une position intéressante parce que d’une part, il y a la responsabilité communautaire, et d’autre part, il y a la responsabilisation, la transparence et les attentes des contribuables. Donc, nous devons être prudents quant au genre de lien communautaire historique en matière de bien-être de l’enfance, tout en n’oubliant jamais que les contribuables sont au centre du financement de ce système, et qu’ils ont des attentes.
Vous êtes aussi ministre responsable de la Direction générale de l’action contre le racisme. Je sais que vous connaissez le projet Une vision une voix qui tente de régler la disproportion des Afro‑Canadiens dans le système du bien-être de l’enfance. Comment concevez-vous votre mandat combiné?
Je crois que la conversation avec la communauté dans le cadre du projet Une vision une voix était très saine. De nombreuses recommandations m’ont bien plu, et il n’y a aucun doute que le gouvernement a endossé le document. Nous rechercherons des façons d’appuyer cette initiative.
Je suis toujours d’avis que certains éléments d’Une vision une voix doivent être abordés. Je crois qu’un aspect communautaire important nécessite une discussion, ce qui nous renvoie à votre question : « La communauté peut-elle faire partie de la solution? » Lorsque je parle aux communautés autochtones du Nord de l’Ontario et partout dans la province, la première chose qu’elles disent est qu’elles veulent assumer la responsabilité de leurs enfants. Lorsque nous parlons d’enfants noirs en Ontario, je crois qu’il est important que la communauté joue un rôle pour le mieux-être de leurs enfants en participant à des conseils d’administration, ou en encourageant les parents à adopter davantage, ou encore en étant des parents d’accueil. À mon avis, tout cela fait partie de la solution globale consistant à procurer aux jeunes des foyers aimants et à les mettre sur la voie de la réussite.
Nous sommes vraiment conscients qu’au symposium où le Cadre de pratique d’Une vision une voix a été lancé afin de mieux servir les familles afro-canadiennes, il y avait une telle soif d’un travail accru dans ce domaine. Lorsque vous entreprenez une conversation, vous créez une attente.
Il aurait été très difficile de ternir cette conversation au sujet de ce document il y a dix ou vingt ans. Je constate qu’il y a du leadership, que l’AOSAE a travaillé avec la communauté noire et les 18 leaders pour élaborer cette stratégie. Je crois que c’est fantastique.
Lorsque vous avez annoncé la nouvelle Loi, vous avez dit que la pauvreté ne devrait jamais être une raison pour que les enfants soient pris en charge. Comment suggérez-vous d’examiner le problème de la pauvreté selon une perspective axée sur les solutions?
Des milliers de jeunes ont été sortis de la pauvreté au cours de la dernière décennie grâce à la stratégie de réduction de la pauvreté du gouvernement. Nous avons mis en place la maternelle à journée entière, ce qui permet à une famille d’épargner près de 7 000 $ par année. Nous avons grandement élargi nos programmes de nutrition dans toute la province, de sorte que les jeunes n’aient pas à avoir faim lorsqu’ils sont à l’école. Nous avons augmenté la prestation pour enfants. Nous avons examiné des façons d’alléger le fardeau des familles grâce à l’éducation, par exemple, l’instauration récente de la gratuité des droits de scolarité pour les familles gagnant moins de 50 000 $. Nous recherchons toujours des façons de mieux positionner les familles de l’Ontario pour qu’elles réussissent. Mais à de nombreuses reprises – et cela remonte plus à l’époque où je siégeais au conseil scolaire, et non en tant que ministre à ce ministère – des gens m’ont déclaré qu’un enfant avait été retiré de sa famille parce qu’il n’y avait pas de nourriture dans la maison. Évidemment, nous devons faire en sorte que cet enfant mange et qu’il soit en santé. Mais à mon avis, lorsque vous avez une mère aimante qui prend soin de cet enfant, et que le seul facteur contribuant à ce que cet enfant soit retiré de sa famille est l’absence de nourriture – la première question qui me vient à l’esprit est : « Comment pouvons-nous procurer de la nourriture à cette famille? »
Il en coûte probablement quelques milliers de dollars pour que cet enfant entre dans le système du bien-être de l’enfance. Dix pour cent de ce montant, soit quelques centaines de dollars, ferait effectivement la différence pour que cet enfant ne soit pas pris en charge. Donc pour moi, c’est simplement un choix logique. En tant que gouvernement, nous devons juste continuer de rechercher des façons d’offrir aux familles traversant une période difficile plus de possibilités de prendre soin de leurs enfants.
J’ai grandi dans un quartier où j’ai vu de jeunes enfants aller à l’école sans nourriture. J’ai vu un superviseur de la salle de repas apporter de la nourriture pour ses enfants et peut-être deux ou trois autres enfants parce que des enfants n’avaient pas de lunch. Je me souviens que ces programmes n’étaient pas en place pour ces enfants à cette époque. Je suis convaincu qu’il y a une corrélation entre le fait de ne pas manger et celui de faire de petits vols, ainsi que d’être dans le système carcéral à long terme.
Difficile d’être attentif à l’école lorsque ton estomac gargouille.
Hé bien, Bob Marley a dit qu’un homme affamé est un homme fâché.
Le travail de première ligne en protection de l’enfance est difficile. Que trouveriez-vous le plus difficile si vous étiez un intervenant en protection de l’enfance durant une semaine?
Les enfants qui subissent des mauvais traitements – c’est ce que je trouverais le plus difficile. Je crois que je trouverais aussi difficile de voir les familles qui ont réellement leurs enfants à cœur, qui veulent vraiment faire une différence, mais où le père, la mère ou la famille sont impuissants.
Durant votre mandat en tant que ministre des Services à l’enfance et à la jeunesse, est-ce qu’une expérience dans le monde du bien-être de l’enfance vous a marqué particulièrement?
C’était à la Covenant House il y a quelques semaines, où cette jeune femme nous a donné deux gâteaux qu’elle avait faits. Les gâteaux étaient fantastiques. En fait, j’en ai congelé un, que j’ai emporté chez mon frère ce week-end, et nous l’avons mangé tous ensemble. J’ai emporté l’autre au bureau. La pâtisserie était tout à fait incroyable. Mais voici ce qui m’a porté à réfléchir. J’ai demandé à cette jeune fille où elle avait appris à cuisiner, et elle m’a dit que c’était de sa « Nona ». Et cela m’a fait réfléchir parce que mon frère a une petite fille à moitié italienne et elle a une « Nona ». J’ai alors pensé : lorsqu’une famille s’effondre, nous ne parlons pas d’enfants qui sont simplement nés dans une mauvaise situation sans une famille aimante. Les choses se produisent au-delà de leur contrôle; ils ont des liens avec les gens. Peut-être que sa grand-mère prenait soin d’elle et que quelque chose est arrivé à sa grand-mère. Je me suis mis à penser à cela et j’ai commencé à comparer cette petite fille à celle de mon frère. D’une certaine façon, c’est triste qu’une personne se retrouve dans cette situation. Ça me rend très émotif.
Apprenez-en davantage ici sur la première réponse de l’AOSAE au projet de loi 89 : Loi de 2016 sur le soutien à l’enfance, à la jeunesse et à la famille.