Le Rapport de recherche et les Pratiques d’équité raciale d’Une vision une voix récemment publiés visent à appuyer les sociétés d’aide à l’enfance (SAE), alors qu’elles entreprennent le processus de profond changement nécessaire pour mieux servir les familles afro-canadiennes. En complément de ce cadre de pratique, nous pouvons en apprendre énormément à partir des expériences individuelles. Il y a deux ans, Notisha Massaquoi a adopté sa fille par l’entremise d’une SAE. Elle nous partage ses idées sur la façon dont le système doit s’améliorer.
L’année dernière, Une vision une voix : changer le système du bien-être de l’enfance de l’Ontario afin de mieux servir les Afro‑Canadiens a publié un Rapport de recherche et les Pratiques d’équité raciale afin d’aider les SAE à réaliser des changements positifs. Avez-vous participé à ce projet?
Comme je suis la directrice générale d’un centre de santé pour femmes qui travaille fréquemment avec des femmes ayant affaire à l’aide à l’enfance, il était logique que je participe au projet Une vision une voix. Mais étant donné que le projet a été lancé au même moment où j’entreprenais le processus d’adoption d’un enfant, j’estimais que le fait d’y participer créerait un conflit d’intérêts. Comme mon expérience d’adoption m’a beaucoup appris sur la façon dont le système doit s’améliorer, j’ai parlé de mon expérience durant les consultations d’Une vision une voix avec la communauté afro-canadienne. Je me suis aussi exprimée au symposium de lancement du Cadre de pratique, en souhaitant que le fait de partager mon expérience puisse contribuer à réaliser des changements positifs.
Qu’est-ce que votre expérience vous a appris sur la façon dont le système du bien-être de l’enfance sert actuellement les familles afro-canadiennes?
Le processus d’adoption a été très pénible pour ma partenaire, et je suis quelqu’un qui connaît le système. Et si nous avons de la difficulté sur les plans racial et culturel durant le processus d’adoption, qu’en est-il de la famille afro-canadienne moyenne qui souhaite adopter?
Pouvez-vous donner des exemples de la façon dont vous et votre partenaire avez eu de la difficulté sur les plans racial et culturel au cours du processus d’adoption?
Durant tout le processus – nous étions le seul couple noir – ils nous répétaient qu’il nous serait facile d’adopter un enfant, comme si c’était une bonne chose. En tant que femme noire assise dans une salle, qui se fait dire que j’ai accès à tout ce bassin d’enfants duquel je peux choisir, ma première pensée n’est pas : « Génial! » Je me dis aussitôt « Oh mon Dieu, voyez combien de femmes ont perdu leurs enfants. »
Un autre exemple de l’insensibilité culturelle est l’évaluation du domicile que vous devez subir pour adopter. Une grande partie de cette évaluation consistait à ce que l’intervenante en adoption essaie de comprendre les deux femmes noires devant elle, que j’explique la spiritualité africaine, ou décortiquer mon arbre généalogique pour qu’elle comprenne. Le processus vous fait sentir anormale. Cette absence de compétence culturelle a fait en sorte que j’ai dû rétablir une bonne partie de ce qui était écrit à notre sujet. Ma partenaire était décrite comme étant « exotique ». La demi-sœur de ma partenaire était décrite comme étant « illégitime ». Et la seule référence à mon emploi était mon travail dans un refuge pour femmes violentées il y a 19 ans. Il n’y avait aucune mention du fait que je suis chargée de cours à la faculté de travail social de Ryerson depuis 10 ans, et directrice générale d’un centre de santé pour femmes depuis 12 ans. J’ai senti que la façon dont on a établi notre profil était très stéréotypée et raciste.
Votre fille avait vécu dans une famille d’accueil pendant deux ans. Comment voyez-vous son expérience avec cette famille?
Notre expérience avec la famille d’accueil de notre fille a été négative. Je vais être franche avec vous. Ils étaient racistes. Elle avait vécu avec eux depuis l’âge de cinq semaines. Lorsque nous l’avons adoptée, elle ne voulait pas se regarder dans le miroir. Elle ne voulait pas prendre de poupées noires. Lorsqu’elle regardait des personnages d’enfants noirs dans des livres, elle disait qu’ils étaient laids. Elle était terrifiée par les hommes noirs. Elle avait appris cela dans sa famille d’accueil, où il n’y avait pas de jouets, de poupées, ni de photos propres à sa culture. Lorsque nous lui avons apporté une petite poupée noire, ses parents d’accueil l’ont remplacée par une poupée blanche. Et parce qu’ils disaient qu’elle avait peur des hommes noirs, ils ne permettaient à aucun homme noir d’entrer chez eux.
Tous ces détails sont très particuliers à la façon dont votre identité se forme. On nous avait dit que notre fille de deux ans avait de graves problèmes développementaux. En fait, il s’est avéré que notre fille n’a aucun trouble du développement ou d’apprentissage. Ce à quoi j’ai dû consacrer tout mon temps est plutôt de l’aider à reconstruire son identité raciale et son estime de soi. Mon travail consistait à lui donner l’assurance de se ternir la tête haute et de faire sa place dans le monde, ce qu’on lui avait enlevé.
Comment le fait de savoir que les familles afro-canadiennes sont surreprésentées dans le système du bien-être de l’enfance a-t-il influencé votre approche d’adoption de votre fille?
Lorsque nous avons entrepris le processus d’adoption, notre objectif principal était de ne pas perpétuer les problèmes systémiques qui mènent à la surreprésentation des enfants noirs pris en charge. Dans notre demande, j’ai été très claire concernant les aspects non négociables. Nous voulions seulement une adoption ouverte avec l’engagement de la famille, et la mère ne devait pas être une cliente de mon agence. Je viens d’une culture où il n’est pas rare qu’une amie ou un membre de la famille se manifeste parce que « maman ne va pas très bien actuellement », et c’est de cette façon que nous concevions notre rôle en tant que parents adoptifs. Pour moi, éduquer ma fille signifie de minimiser l’impact sur sa mère naturelle et ses autres enfants. L’autre scénario – que sa mère soit punie pour le reste de ses jours et n’ait jamais l’occasion de revoir son enfant – est le scénario que je ne peux réaliser.
Donc, vous avez établi des contacts avec la famille naturelle de votre fille adoptée?
Nous avons commencé en établissant une relation avec la sœur de notre fille, qui a 18 ans. Elle a vu sa sœur quitter la maison et ne savait pas encore où elle était. Aucun effort n’avait été déployé pour maintenir le contact entre les deux sœurs pendant qu’elles étaient en famille d’accueil. Lorsqu’elle a vu notre fille pour la première, elle a pleuré. Les deux sont plus attachées que je ne l’aurais prévu. Elle assiste aux récitals de ma fille. Et lorsqu’elle a obtenu son diplôme d’études secondaires, nous étions là.
Que savez-vous sur la façon dont votre fille a été prise en charge?
Notre fille a été prise en charge parce qu’elle était en situation de pauvreté. Si j’avais été dans la même situation que la mère naturelle de notre fille, mon enfant n’aurait pas été prise en charge, et la SAE ne s’en serait pas mêlée, parce que j’ai une bonne connaissance du système et des moyens d’obtenir de l’aide et les ressources financières, ainsi qu’un réseau familial et un réseau d’amis solides. Notre système omet d’aider certaines familles.
Le projet Une vision une voix a récemment publié son Cadre de pratique pour aider les SAE à mieux servir les familles afro‑canadiennes. Comment concevez-vous votre rôle pour contribuer à réaliser ces changements?
Dans le cadre de mon travail au centre de santé des femmes, je m’efforce de mettre en place des façons très proactives de travailler avec la SAE, afin de procurer les soins de soutien globaux qui permettent aux enfants de rester au domicile familial lorsqu’ils ne sont pas en danger. Les SAE ne comprennent pas l’impact qu’elles peuvent avoir sur nos communautés, mais avec ce type d’approche, j’ai confiance que nous pouvons réparer nos relations et réaménager la façon dont nous servons la communauté afro-canadienne.