Depuis des décennies, le secteur du bien-être de l’enfance reconnaît les familles de proches comme étant une option de placement pour les enfants et les jeunes qui ne peuvent pas vivre avec leur famille immédiate, mais le placement chez un proche accuse toujours un retard par rapport à l’adoption et au placement en famille d’accueil. La nouvelle Loi sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille (LSEJF) va-t-elle changer cette situation?
Oui, l’accent de la LSEJF sur l’importance de l’identité et des liens culturels devrait pousser le placement chez un proche à un niveau supérieur. Il ressort clairement du préambule que les enfants doivent, dans la mesure du possible, rester en contact avec leur système familial et leur culture. Cela devrait se traduire par un recours accru aux placements chez un proche et aux soutiens à ces familles au-delà de ce qui a été réalisé par les modifications précédentes.
Quelles sont les dispositions particulières de la LSEJF qui contribueront à guider les sociétés d’aide à l’enfance (SAE) pour prioriser le placement chez un proche?
Comme je l’ai déjà mentionné, elle commence par le préambule qui établit la philosophie et les priorités de la loi et peut influencer grandement l’interprétation de la LSEJF. Le préambule mentionne le besoin de respecter la diversité des enfants et des familles, de s’attaquer au racisme et aux obstacles systémiques et de maintenir des liens avec leur communauté. Les familles de proches et les familles élargies sont probablement le meilleur moyen d’atteindre ces objectifs. Le préambule met également l’accent sur l’importance de la voix de l’enfant. D’après mon expérience, la plupart des enfants veulent rester en contact avec leur système familial. Le lien entre la voix de l’enfant et le placement chez un proche ne semble peut-être pas direct, mais c’est un lien que j’essaie de garder à l’esprit.
À part le préambule, pouvez-vous préciser d’autres dispositions qui auront une incidence sur la priorité aux placements chez un proche?
La Partie II donne une nouvelle définition de la famille élargie pour les enfants des Premières nations, inuits et métis, qui comprend tout membre d’une bande ou d’une communauté dont l’enfant est membre ou à laquelle il s’identifie. L’article 109 exige des SAE qu’elles choisissent des placements familiaux pour les enfants des PNIM, si cela est possible, auprès d’un membre de leur famille élargie. Ensemble, ils renforcent l’ampleur de l’obligation de prioriser les placements qui maintiennent des liens avec les proches. L’article 109 exige aussi des SAE qu’elles tiennent compte de la race, de l’ascendance, du lieu d’origine, de la couleur et des origines ethniques, entre autres caractéristiques identitaires, lorsqu’elles choisissent le placement pour tous les enfants pris en charge. L’article 74 inclut également un ensemble élargi de caractéristiques identitaires, dont la race, l’ascendance, le lieu d’origine, la couleur et les origines ethniques dans le test de l’« intérêt véritable », qui inclut désormais aussi la voix de l’enfant comme facteur obligatoire. Il en résulte que tout ce qui fait de l’enfant ce qu’il est doit être pris en compte lors de la prise de décisions concernant les enfants. Cela signifie clairement une plus grande attention aux systèmes familiaux.
Au début de l’entrevue, vous avez mentionné que la loi précédente comportait des dispositions particulières qui visaient à accroître le recours aux placements chez un proche, mais que ces derniers n’étaient pas toujours utilisés autant que prévu. Qu’est-ce qui nuit à l’effort de priorisation des familles de proches dans le bien-être de l’enfance?
Je pense qu’il y a eu des poches de résistance liées à la pensée traditionnelle du bien-être de l’enfance, selon laquelle la meilleure chose à faire pour les enfants en situation de risque est de leur donner une vie meilleure en les plaçant dans de belles familles blanches de classe moyenne. Une part de cette pensée persiste. Amener l’ensemble du secteur à évaluer les risques sous un autre angle est un processus qui ne se fait pas du jour au lendemain.
Êtes-vous en train de dire que le racisme joue un rôle dans la résistance du secteur du bien-être de l’enfance à recourir aux familles de proches?
Les données nous indiquent que les enfants racialisés sont surreprésentés dans les placements en famille d’accueil. Le secteur commence à s’intéresser au racisme systémique et au rôle qu’il joue dans tous les aspects du bien-être de l’enfance, notamment aux raisons pour lesquelles moins d’enfants racialisés restent dans leur système familial. Il y a une multitude de questions à prendre en compte, comme : Pourquoi certains intervenants pensent-ils qu’un enfant noir est mieux placé dans une famille d’accueil blanche et aisée que dans une famille de proches moins aisée? Le racisme systémique est-il ancré dans nos notions de permanence telles que la vision traditionnelle de l’adoption comme norme de référence en matière de permanence? La garde légale chez des proches et un système de soutien familial plus fluide seraient-ils le plus souvent une meilleure solution?
Comment la LSEJF aide-t-elle à s’attaquer au racisme intégré et systémique?
En mettant l’accent sur les liens communautaires et culturels, la LSEJF exige des SAE qu’elles trouvent l’équilibre entre le préjudice inévitable causé lorsqu’elles retirent un enfant de son système familial et le risque que peut représenter le fait de laisser un enfant dans un placement marginal. Cette exigence est renforcée par les enseignements tirés du travail de la Commission de vérité et réconciliation pour les familles autochtones, les commentaires des jeunes et les données sur les résultats qui montrent les niveaux de préjudices causés par le retrait des enfants et des jeunes de leur système familial. À la lumière de l’avertissement du préambule selon lequel la sensibilisation aux obstacles et au racisme systémiques ainsi que la nécessité de les éliminer devraient éclairer la prestation de services, la LSEJF exige que nous reconnaissions et affrontions le racisme de front afin de travailler plus efficacement et en collaboration avec nos diverses communautés.
Certains superviseurs de première ligne disent que l’accent de la LSEJF sur les délais et le consentement est un obstacle à la priorisation des familles de proches pour les placements.
Les délais pour trouver des placements permanents peuvent créer des difficultés puisque trouver des proches, effectuer des évaluations et mettre en place des systèmes de soutien familial représentent plus de travail et nécessitent plus de temps que le recours aux placements d’accueil préapprouvé. Une partie de la réponse consiste à être plus cohérent et à insister pour poser des questions sur les soutiens familiaux et les placements chez un proche plus tôt dans le processus.
L’accent mis sur le consentement peut aussi constituer un obstacle. De nombreuses personnes l’interprètent comme signifiant que le consentement d’une personne responsable est requis pour effectuer une recherche approfondie de proches. Cependant, la loi stipule que lorsqu’une affaire est portée devant un tribunal, celui-ci doit examiner s’il est dans l’intérêt véritable de l’enfant de le placer chez un membre de la parenté ou de la famille élargie ou un membre de la communauté de l’enfant. Pour ce faire, il faut pouvoir rechercher un proche avec ou sans consentement. L’examen du nouveau régime de protection de la vie privée dans la Partie X peut contribuer à l’élaboration d’un cadre plus cohérent en cette matière. Ici encore, une partie de la solution consiste à s’entretenir avec les parents dès le début de la procédure au sujet de leur système familial et à engager les familles dans notre travail.
Comment diriez-vous que vous intervenez différemment en tant qu’avocate-conseil compte tenu de la nouvelle LSEJF?
L’une des façons dont je suis intervenue dans mon précédent rôle d’avocate-conseil principale était de ne pas laisser l’agence s’en tirer à bon compte lorsqu’elle était confrontée à un refus de faire des évaluations de proches tardives ou multiples. J’ai dit que nous utilisons parfois l’arme de l’« attachement » pour éviter d’évaluer les proches. Il est évident que l’attachement est important, mais il ne doit pas être utilisé comme justification pour éviter les évaluations de proches, en particulier lorsqu’il y a des considérations raciales ou culturelles. En tant qu’avocate-conseil, je suis intervenue pour m’assurer que nous ne déconseillons pas les plans de placements chez un proche ou que nous évitons de les évaluer lorsqu’il nous arrive d’aimer les parents d’accueil qui présentent un plan d’adoption et déterminent à l’avance que leur plan est meilleur.
Quel conseil donnez-vous aux agences et à leur personnel lorsqu’il s’agit d’appuyer l’orientation de la LSEJF relative au placement chez un proche?
Bien qu’il s’agisse d’un énorme défi en période de restrictions financières, l’allocation de ressources suffisantes est cruciale parce que le travail relatif aux proches nécessite du temps pour être bien fait. J’encouragerais aussi les agences à créer une culture qui ne renonce pas à la philosophie selon laquelle, en règle générale, les enfants réussissent mieux dans leur système familial. Il faut un leadership fort et unifié dans tous les rôles et services pour surmonter les poches de résistance ainsi qu’affronter les préjugés et le racisme lorsqu’ils se manifestent. Dans l’ensemble, les agences et le personnel doivent accepter que les placements chez un proche ajoutent de la complexité au travail, mais la vie d’un enfant est complexe. Vous ne voulez pas passer à côté de la complexité.